Pendant la nuit, il arrive que certaines personnes arrêtent de respirer pour des périodes d’au moins dix secondes, et parfois bien plus longues, avant de reprendre bruyamment leur respiration avec un ronflement caractéristique. Ces individus sont affectés par ce qu’on appelle des apnées du sommeil. Leur sommeil est fréquemment interrompu par de courts réveils qui les laissent épuisés et somnolents le jour suivant. Cela nuit à leur qualité de vie, augmente leur risque d’accidents et élève également leur probabilité de développer des troubles cardiovasculaires ou le diabète.
Selon des recherches récentes publiées dans Annals of Neurology par des équipes du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), ces interruptions soudaines de la respiration ont d’autres impacts défavorables. En effet, elles réduisent le niveau d’oxygène dans le sang, ce qui peut chuter en dessous de 85%, alors que normalement il oscille entre 94 et 100%. Ainsi, le cerveau est privé de cette molécule essentielle à son fonctionnement optimal, ce qui pourrait encourager l’apparition de troubles cognitifs et de démences.
Sommaire
Une recherche approfondie
La démence, caractérisée entre autres par des pertes de mémoire, est un syndrome courant touchant «10% des individus âgés de 75 à 84 ans, 30% de ceux âgés de 85 à 94 ans et 45% des personnes de plus de 95 ans», souligne le Dr Nicola Marchi, chef de clinique adjoint au Service de neurologie du CHUV et auteur principal de cette étude. C’est donc un enjeu majeur de santé publique qui ne fera que croître avec l’augmentation de l’âge de la population. Actuellement, pour combattre ce déclin cognitif, «il n’existe aucun traitement et très peu de moyens de prévention», note le neurologue.
Identifier les facteurs de risque de la démence est donc crucial. Certains étaient déjà connus : l’hypertension, l’obésité, l’abus d’alcool et le tabagisme. L’apnée du sommeil pourrait en être un autre. «Nous avions déjà observé, dans une étude antérieure, que les individus souffrant d’apnées présentent davantage de troubles cognitifs que les autres», ajoute le Dr José Haba-Rubio, médecin au Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil (CIRS) du CHUV.
Pour confirmer cela, les équipes du CHUV ont exploité les données de CoLaus/PsyCoLaus, un programme de recherche qui examine depuis une dizaine d’années l’état de santé d’une large cohorte de près de 7’000 résidents de la région lausannoise, âgés de 35 à 75 ans au début de l’étude. Parmi eux, 755 avaient déjà bénéficié d’un enregistrement de leur sommeil et d’une observation de l’anatomie de leur cerveau par IRM.
En combinant ces informations, les médecins du CHUV ont pu mener «la plus vaste étude jamais réalisée sur les liens entre l’apnée du sommeil et les troubles cognitifs, la première portant sur la population générale – les précédentes concernaient uniquement des patients – et la première également qui associe des enregistrements de sommeil (polysomnographies) et des observations de la morphologie cérébrale par IRM», déclare José Haba-Rubio.
Les résultats ont révélé qu’une mauvaise oxygénation nocturne du cerveau conduit à une réduction du volume de la matière grise (qui contient les corps des neurones). En évaluant la moyenne du taux de saturation en oxygène pendant le sommeil, ils ont découvert qu’une diminution de 1% de ce dernier entraînait une perte moyenne du volume de certaines régions cérébrales de 0,63%. Bien que cela puisse paraître minime, Nicola Marchi rappelle que «normalement, dès 25 ans, notre cerveau commence à perdre du volume progressivement. Imaginez une personne dont le taux de saturation en oxygène diminue de 10% à cause de ses apnées; pour elle, c’est comme si elle avait subitement vieilli de 20 ans!»
Les fonctions mnésiques touchées
Ce sont principalement l’hippocampe et l’amygdale, deux structures situées dans les profondeurs du lobe temporal (derrière les tempes) et impliquées dans la mémoire, qui sont affectées. L’hippocampe joue un rôle dans «la fixation des souvenirs d’événements, d’expériences personnelles et de concepts», explique Nicola Marchi. L’amygdale, quant à elle, renforce l’encodage des souvenirs, surtout ceux liés aux émotions.
D’autres régions cérébrales subissent également une perte de volume lorsqu’elles sont privées d’oxygène. Cela concerne les ganglions de la base (situés en profondeur dans le cerveau), certains ayant «un lien avec la mémoire procédurale, celle des savoir-faire et des capacités motrices, qui nous permet par exemple de faire du vélo», ajoute le neurologue. Il en va de même pour des zones du cortex fronto-pariétal (à la surface du cerveau) «qui intègrent les informations visuelles, auditives et spatiales».
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que l’apnée du sommeil puisse favoriser l’apparition de démences. Cependant, pour les médecins, cela reste une hypothèse. Pour la confirmer, ils doivent encore démontrer que la réduction du volume des régions cérébrales concernées se reflète effectivement dans les résultats des tests cognitifs. Ils pourront s’y atteler prochainement grâce aux données accumulées par le programme CoLaus/PsyCoLaus, «nous disposons déjà de données concernant les facultés de mémorisation et de concentration des personnes de plus de 65 ans», note Nicola Marchi. «Nous allons donc les analyser».
Prévoir le vieillissement cérébral
Si les résultats confirment les attentes, cela pourrait avoir des implications cliniques significatives. À l’heure actuelle, seules les apnées sévères (plus de trente arrêts de la respiration par heure) sont étudiées de près.
Si le lien avec un risque accru de démence est établi, cela pourrait inciter à dépister l’apnée sur une population bien plus large et à traiter ceux qui en souffrent, souligne Raphaël Heinzer. Plusieurs méthodes existent pour rétablir une respiration normale pendant la nuit : conseiller aux patients de porter un masque relié à un compresseur d’air, une orthèse (double gouttière qui déplace en avant la mâchoire inférieure pour libérer le larynx), ou un gilet qui empêche de dormir sur le dos (position qui favorise les arrêts respiratoires). Dans les cas graves, une intervention chirurgicale peut même être proposée.
Nicola Marchi envisage même des perspectives à moyen ou long terme : «On pourrait imaginer que l’on enregistre le sommeil d’une personne souffrant d’apnées et, grâce à l’intelligence artificielle – donc sans avoir recours à l’IRM – on pourrait prédire la manière dont son cerveau vieillira. On pourrait alors lui proposer un traitement personnalisé». Ainsi, les médecins auraient un moyen de prévenir la démence.
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